Annexe : Paul-Henri Siriex

Témoignage de Paul-Henri Siriex – 1998 :

Pierre BOURDAN appartient à la lignée des journalistes qui ont œuvré passionnément à la libération et à la défense de la France. Formé à l’école de Paul Louis BRET, Grand patron de l’information, à Londres, avant guerre ainsi que Maurice SCHUMANN, journaliste et homme politique disparu récemment, tous trois étaient des êtres hors série, sympathiquement attachants.

Paul Louis BRET, gentilhomme viticulteur de la respectable société protestante de Montpellier, humaniste sans étalage de culture comme on les aime Outre-manche, avait fait du journalisme une technique rigide sans improvisation, d’une probité intellectuelle sans faille ; il était la véritable clé de voûte de cette équipe qu’il dirigeait avec mæstria et a marqué profondément de son empreinte ses deux collaborateurs.

Si Maurice SCHUMANN émaillait sa conversation de piquantes anecdotes, Pierre MAILLAUD opposait une certaine froideur à une rigueur dans le raisonnement due probablement à ses origines albigeoises. Profondément cultivé, il avait acquis sa culture pas tellement sur les bancs du lycée ou de la faculté, mais au hasard de la vie, de sa vie à lui, sans méthode connue et éprouvée, en gourmet qu’il était. Il semblait parfois comme égaré dans le siècle, une sorte de François VILLON, avec ses tumultes intérieurs, plus délicats peut-être. Comme son patron Paul Louis BRET, il avait une conception scrupuleuse de l’information et était aussi volubile en anglais vernaculaire ou idiomatique qu’en citations shakespeariennes. Je le vois encore « tapant » son papier diplomatique, impeccable dans sa présentation et sans la moindre faute de frappe, le regard perdu au-delà du clavier dans les nuages noirs de l’avant-guerre…

Pierre MAILLAUD, alias BOURDAN, très légitimement, tenait le premier rôle après BRET. Il exerçait sur ses interlocuteurs un charme quasi-ensorcelant auquel le timbre suave de la voix et une légère coquetterie d’un œil ne faisaient qu’ajouter. On comprenait sans peine que sa culture et la sûreté de son jugement sur l’évolution des évènements lui aient valu l’amitié confiante des frères Théo et Erich KORDT qui rongeaient leur frein auprès de RIBBENTROP en s’efforçant d’éviter le pire avant de participer activement à la résistance allemande contre HITLER.

Lors de la crise des Sudètes en 1938, Pierre MAILLAUD se fit remarquer pas ses dépêches téléphonées considérées par l’ensemble de la presse comme les plus directes et les plus sûres quant à leurs sources. L’estime dont il jouissait auprès de ses confrères britanniques et américains était plus qu’un témoignage.

Pierre BOURDAN, après la défaite et l’éclatement de l’équipe, devint très vite avec Maurice SCHUMANN, le chef de l’information et le futur chroniqueur, guetté chaque soir dans la France occupée, des émissions de la BBC « Les Français parlent aux Français ».

Perpétuel explorateur d’un champ d’action à sa mesure, il semblait dépourvu de toute ambition politique. Aussi, sommes-nous surpris de le retrouver sur les bancs de l’Assemblée Nationale, au lendemain de la Libération en 1945. Il a raconté dans un vivant « carnet de retour avec la Division Leclerc » Ed. Trémois – 1945 – comment il avait traversé les lignes allemandes en Normandie, pour être l’un des premiers à Paris, et réussi à s’échapper du train qui l’emmenait en Allemagne, lui, le Pierre BOURDAN des « Français parlent aux Français » des années noires.

Edouard HERRIOT, Président de la nouvelle Assemblée, devait reconnaître en ce jeune collègue un « élu » parmi les élus. Peut-être était-il pour lui une sorte de refuge d’humanisme authentique dans la gent parlementaire nouvelle ? Il l’avait aussitôt entouré d’une affection quasi paternelle dans ce milieu composite. Sa fréquentation des célébrités artistiques et littéraires d’alors pouvait rassurer ses amis, non sans les inquiéter parfois.

Après le départ du Général de Gaulle et le vote de la Constitution de la IVème République, un président du Conseil, d’une rare culture lui aussi, Paul RAMADIER, devait en faire son ministre de l’Information ; un ministre qu’il se plaignait de ne pas trouver toujours à la table des conseils hebdomadaires de l’Elysée…

Nos voies devaient se croiser souvent avant la guerre, puis dans les circonstances dramatiques de la défaite et de la France Libre avec leur cortège de contradictions. Pierre MAILLAUD avait compris les raisons qui m’avaient amené à vouloir quitter Londres et l’atmosphère souvent pénible de Carlton Gardens. Aussi, lorsque les circonstances avaient changé, Pierre ayant appris que Carlton Gardens demandait mon retour à Londres, il m’envoyait un télégramme à Beyrouth : « Ayant appris par Carlton Gardens que Quartier Général souhaitait votre retour et connaissant motifs votre départ sans me permettre vous donner avis crois cependant devoir vous dire que pour raisons intérêt mouvement votre présence à Londres pourrait rendre les plus grands services. Amitiés de tous ».

Ce fut pour moi un témoignage précieux d’amitié.

Pierre MAILLAUD devait nous quitter, probablement sans grandes illusions sur le culte de ses contemporains pour cette authentique philosophie de la vie et de la liberté à laquelle il avait donné le meilleur de lui-même…

Paul-Henri SIRIEX

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